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Le garde des Sceaux attend une Justice « plus rapide et mieux comprise »

Pénal - Informations professionnelles, Vie judiciaire
07/10/2020
Une justice plus rapide, plus efficace et proche du citoyen. Voici les intentions d’Éric Dupond Moretti, ministre de la Justice, qu’il a précisé dans une circulaire diffusée le 1er octobre 2020 aux procureurs généraux et procureurs de la République. 
Éric Dupond-Moretti a transmis le 1er octobre une circulaire de politique pénale générale aux procureurs généraux et aux procureurs de la République. Objectif : « repenser une part de l’action pénale pour qu’elle soit plus effective, plus rapide, mieux comprise, et ainsi asseoir la pleine crédibilité de l’autorité judiciaire ».
 
Le garde des Sceaux fait état de deux études Ifop soulignant notamment un manque de confiance dans la capacité de l’institution judiciaire à apporter une réponse adaptée. Concrètement :
  • 73 % des sondés estiment que la Justice n’est globalement pas assez sévère (Ifop, sept. 2020) ;
  • 62 % considèrent que la Justice fonctionne mal (Ifop, sept. 2019).
 
Effectivité et rapidité sont les mots d’ordre.
 
 
Une vraie justice de proximité
« Le justiciable doit pouvoir accéder à la justice de manière simple et fluide » souligne le garde des Sceaux dans sa circulaire. L’idée : une justice de proximité pour mieux répondre et plus rapidement aux besoins des justiciables.
 
Une réponse pénale efficace suppose qu’elle intervienne dans des délais resserrés. Il incite notamment les procureurs à privilégier, pour la « petite délinquance » dans les cas où les délais de convocation devant un tribunal sont trop longs, d’autres orientations permettant de rendre une décision dans un temps plus proche des faits. « Ces délais doivent ainsi être les plus courts possible et ne sauraient raisonnablement excéder huit mois » précise-t-il.
 
La proximité sous-entend également un rapprochement géographique. « Je souhaite que les procureurs de la République s’appuient sur leur réseau de délégués, qui sont des relais de qualité dans les réponses données par les parquets à un spectre étendu d’infractions de moindre gravité » note le garde des Sceaux.
 
Précision : une circulaire sera diffusée prochainement sur la justice de proximité. 

Une meilleure réponse à la délinquance du quotidien
Le garde des Sceaux rappelle l’importance et la nécessité d’apporter une réponse à toutes les formes de violence, notamment les violences urbaines, celles commises dans les transports ou à l’encontre des élus (v. Violences contre les élus : que prévoit la circulaire publiée par le garde des Sceaux ?, Actualités du droit, 8 sept. 2020) et des personnels municipaux.
 
Priorité également à la lutte contre les trafics de stupéfiants et particulièrement à l’économie souterraine qu’ils nourrissent. Cette économie doit faire l’objet d’un suivi dédié souligne Eric Dupond-Moretti. « Les procureurs s’assureront que les investigations patrimoniales soient systématiquement conduites dans le cadre des enquêtes qu’ils dirigent et soient requises dans les informations judiciaires ». Également, lors de l’audience de jugement, ils devront porter une attention particulière aux confiscations et envisager de requérir des peines d’amende lorsque la situation s’y prête, « trop rarement prononcées contre les auteurs de cette délinquance ». Sans oublier d’assécher les réseaux de distribution, grâce notamment au recours à l’amende forfaitaire à l’encontre des usagers, précise le ministre (v. Usage de stupéfiant : généralisation du dispositif de l’amende forfaitaire, Actualités du droit, 2 sept. 2020).
 
S’agissant des rodéos urbains, il préconise la procédure de comparution immédiate et invite à développer les moyens nécessaires à une mise en œuvre rapide et systématique de la saisie des véhicules.
 
Enfin, s’agissant des atteintes à la propriété, une réponse pénale rapide et dissuasive est attendue.
 
 
Des politiques pénales toujours prioritaires
Le ministre profite de cette circulaire pour rappeler la poursuite de l’engagement à l’égard des politiques pénales prioritaires. Notamment :
- les infractions sexuelles ou outrages sexistes : l’objectif est de prévenir et détecter ces comportements et d’y apporter des réponses rapides et proportionnées notamment en se rapprochant des partenaires institutionnels ;
- les infractions touchant la confiance dans les institutions : « ces agissements dont le niveau est très variable doivent être traitées par l’ensemble des parquets qui doivent s’emparer des outils juridiques existants » ;
- la lutte contre le terrorisme : « Une attention significative au traitement des infractions motivées par la radicalisation de leur auteur reste primordiale » précise la circulaire ;
- la lutte contre les violences conjugales, « j’insiste sur le besoin de maintenir une vigilance constante et une mobilisation sans faille de toute la juridiction », notamment via le déploiement du bracelet anti-rapprochement (v. Bracelet anti-rapprochement : le décret d’application publié, Actualités du droit, 24 sept. 2020).
 
Le garde des Sceaux a signé une circulaire le 23 septembre 2020 relative à la politique pénale en matière de lutte contre les violences conjugales notant que des améliorations sont encore possibles et nécessaires (Circ. 23 sept. 2020, NOR : JUSD2025172). Il insiste sur le port du bracelet électronique anti-rapprochement, précisant que le dispositif devra être opérationnel sur l’ensemble du territoire en fin d’année.
Il demande également à ce que l’exécution des peines prononcées pour des faits de violences conjugales fasse l’objet d’une « attention soutenue afin d’éviter tout retard de traitement injustifié ». Il appelle enfin à mieux accueillir et prendre en charge des victimes conjugales et étudier de nombreuses pistes d'amélioration. Enfin, les retours d’expérience dans les procédures d’homicides conjugaux doivent être généralisés. 
 
 
La détention provisoire : l’exception
La détention provisoire doit rester « strictement exceptionnelle et exécutée dans des conditions de dignité auxquelles vous devez porter une vigilance constante et totale » souligne le ministre de la Justice.
 
Rappelons d’ailleurs que le Conseil constitutionnel vient de censurer l’article 144-1 du Code de procédure pénale relatif à la détention provisoire et de donner 5 mois au Parlement pour faire voter une loi permettant aux personnes placées en détention provisoire de saisir le juge de conditions de détention contraires à la dignité humaine (Cons. constit., 2 oct. 2020, n° 2020-858/859, QPC, v. Une loi attendue pour faire respecter la dignité humaine en prison, Actualités du droit, 2 oct. 2020).
 
La Cour de cassation avait, quelques mois avant, jugé que des conditions indignes de détention provisoire pouvaient constituer un obstacle à sa poursuite (Cass. crim., 8 juill. 2020, n° 20-81.739, P+B+R+I, v. Libération d’un détenu pour conditions de détention indignes : c’est désormais possible !, Actualités du droit, 8 juill. 2020). Ces décisions font suite à la condamnation de la France par la CEDH le 30 janvier dernier (CEDH, 30 janv. 2020, n° 9671/15, v. Surpopulation carcérale : la France épinglée par la CEDH, Actualités du droit, 6 févr. 2020).
 
Notons qu’une nouvelle circulaire sera diffusée concernant la régulation carcérale précise le garde des Sceaux.
 
 
Des peines rapides et effectives
S’agissant des peines, le ministre de la Justice invite à développer davantage l’assignation à résidence avec surveillance électronique et la surveillance mobile. Son souhait se porte aussi sur l’exécution rapide et effective des peines prononcées par les juridictions.
 
Pour cela, il préconise de :
  • continuer d’accroître le taux de recouvrement des amendes ;
  • réduire les délais d’exécution des peines de travail d’intérêt général.
 
Il précise également qu’une convocation à l’audience devant le JAP sera remise systématiquement aux condamnés lorsqu’ils seront présents à l’audience.
 
 
Une justice visible
« Il est essentiel que le fonctionnement de la justice et les réponses qu’elle apporte soient mieux connues ». Le ministre demande alors aux procureurs de la République de communiquer davantage tant sur leur action que sur la politique pénale mise en œuvre sur leur ressort. Pour ce faire, il propose notamment de développer le recours aux moyens modernes de communication et d’institutionnaliser des rencontres régulières avec la presse.
 
Rappel d’importance : le secret de l’enquête et de l’instruction doit être respecté.
 
 
Des propositions attendues concernant la remontée d’informations
Le dernier point de la circulaire est consacré aux remontées d’informations, sujet polémique. Pour rappel, le Syndicat de la magistrature demande de les interdire estimant que « Les remontées d’information ne sont le plus souvent justifiées par rien d’autre que le désir malsain du pouvoir politique de connaître les avancées de l’enquête, quitte à en faire parfois un très mauvais usage » (Syndicat de la Magistrature, 19 juin 2020). Pour le Conseil supérieur de la magistrature, « le statut et le régime juridique des remontées d’informations, y compris les critères justifiant le signalement d’une affaire, qui ne font l’objet aujourd’hui que d’une simple circulaire, doivent être consacrés dans un texte de valeur législative » (Conseil de la magistrature, 19 juin 2020).
 
Le ministre de la Justice tient alors à rappeler que la remontée d’informations « est très structurante pour l’action du ministère public ». Elle permet notamment au garde des Sceaux, « très concrètement d’expliquer le fonctionnement de la justice ».
 
Il précise alors vouloir publier le rapport annuel sur l’application de la politique pénale prévu à l’article 30 du Code de procédure pénale et en rendre compte devant le Parlement.
 
Une réflexion doit néanmoins être menée par la Direction des affaires criminelles et des grâces qui doit formuler des propositions dans les prochaines semaines sur le sujet. D’ici là, la circulaire du 31 janvier 2014 continue d'être appliquée.
 
 
Pas de remontée d’informations concernant ses anciens dossiers, sauf exceptions
À noter néanmoins qu’aucune remontée d’informations ne sera communiquée s’agissant des procédures dans lesquelles le ministre est intervenu en qualité d’avocat ou dans lesquelles le cabinet Vey intervient.
 
Néanmoins, plusieurs exceptions sont prévues, à savoir lorsque l’affaire :
  • soulève une question de droit nouvelle ;
  • met en cause le fonctionnement du service public de la justice ;
  • présente une dimension internationale présentant une sensibilité diplomatique particulière.
 
Dans ces hypothèses, il y sera procédé sous forme de note établie par la DACG et « ne contenant que les éléments strictement indispensables à une appréciation utile de la situation et des suites à lui donner » a précisé le Directeur des affaires criminelles et des grâces dans un courrier adressé aux procureurs généraux le 29 septembre 2020.
 
 
Un budget 2021 marqueur de volonté
Le garde des Sceaux en profite pour rappeler le budget historique consacré à la Justice (v. PLF 2021 : un budget historique pour la Justice, Actualités du droit, 29 sept. 2020). En effet, pas moins de 8,2 milliards d’euros sont prévus pour donner à la Justice les moyens d’agir. Et ce, notamment grâce à la création de 2 450 emplois supplémentaires.
 
Source : Actualités du droit