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Réforme de la Cour de cassation : des pistes se dessinent

Civil - Procédure civile et voies d'exécution
02/03/2017
Le rapport d’étape présentant les travaux de la commission de réflexion sur la réforme de la Cour de cassation a été diffusé, le 24 février 2017, à l’ensemble des magistrats de la Haute juridiction par son Premier président, Bertrand Louvel.
Ce rapport remis par Jean-Paul Jean, président de chambre et directeur du service de documentation, des études et du rapport de la Cour de cassation (SDER), s’articule autour de deux grands axes « Réformer » et « Transformer », et se décline en 70 propositions.

Une note jointe au rapport présente, quant à elle, les conclusions d’étape qui ont été validées (et a contrario les points qui n’ont pas reçu d’aval) par les présidents de chambre lors de leurs réunions des 6 et 20 février derniers.

Mettre en place un filtrage des arrêts

Pour faire face aux quelque 28 000 pourvois enregistrés chaque année, le rapport préconise la mise en place d’un filtre.

Deux options sont envisagées :

– un système de filtrage "externe", sur le sur le modèle allemand, s’appuyant principalement sur les cours d’appel : la possibilité de se pourvoir reposerait sur une autorisation donnée par la cour d’appel dont la décision est attaquée, avec, en cas de refus, un recours toujours possible devant une composition particulière de la Cour de cassation ;

– une procédure de filtrage "interne" à la Cour, proche de l’ancienne chambre des requêtes : une procédure d’admission préalable à l’examen du mémoire ampliatif serait instaurée au sein de la Haute juridiction « selon la logique du texte proposé par le gouvernement, puis finalement retiré, dans le cadre du débat parlementaire de la loi sur la justice du XXIe siècle ».

Sur ce point, les présidents de chambre semblent parfaitement en accord avec le rapport : « la Cour de cassation ne pourra à l’avenir assurer son plein office normatif que si une réforme législative met en place un réel filtrage des pourvois, qui devra être accompagnée d’une évolution de la chaîne des recours en matière civile à définir en lien avec les cours d’appel ».

Instaurer des circuits différenciés

Le rapport propose également d’instaurer, par instruction générale du premier président, en tenant compte des expériences et spécificités de chaque chambre, « trois circuits différenciés clairement identifiés pour le traitement des affaires, avec des passerelles toujours possibles ». Les présidents de chambre ont fait savoir qu’ils ne jugent pas nécessaires ces nouveaux circuits.

Voici toutefois les trois circuits envisagés par le rapport :

– un circuit court pour les affaires "simples" : rejets non spécialement motivés, non-admissions, cassations et rejets évidents ;

– un circuit approfondi pour les affaires dites "importantes", signalées comme telles notamment par le SDER ou les avocats au Conseil. Des études complémentaires, consultations, voire des études d’impact (ou études d’incidences) pourraient être réalisées dans certains cas ;

– un circuit dit "ordinaire" s’appliquant par défaut aux pourvois n’entrant pas a priori dans l’une de ces deux catégories.

Un rôle repensé du parquet général et des acteurs de la procédure

Le rapport prévoit un rôle renouvelé des magistrats du parquet général qui seraient « mis en mesure d’intervenir plus en amont dans le processus de repérage et d’orientation, ainsi que, si nécessaire, lors d’une phase d’instruction du dossier, dans le circuit dit "approfondi" ». Ce "nouveau" rôle du parquet général permettrait d’ajuster l’augmentation de ses effectifs depuis quelques années  alors que concomitamment sa place procédurale a été réduite depuis 2002, , à la suite de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) du 31 mars 1998 (CEDH, 31 mars 1998, aff. 22921/93 et 23043/93, Reinhardt et Slimane-Kaïd c/ France). Le rapport propose ainsi d’associer le parquet général à l’orientation des dossiers dans les différentes options de circuits différenciés.

Bien qu’opposés à l’instauration de circuits différenciés, les présidents de chambre sont favorables à une co-saisine d’un rapporteur et d’un avocat général dès que les mémoires sont déposés dans les pourvois aux incidences importantes.
Chaque début de mois, ils proposent de communiquer la liste des numéros des pourvois transférés à chacune des chambres civiles au parquet général de la chambre, qui pourra, ainsi, via le bureau virtuel de la juridiction, avoir connaissance des pourvois soumis aux chambres.

Toutefois, l’avis du rapporteur et des membres composant la chambre étant soumis au secret du délibéré, la participation de l’avocat général à la conférence ou au délibéré ne leur « apparaît pas possible en l’absence de réforme statutaire ».

Enrichir la motivation des arrêts

Une motivation enrichie devrait s’appliquer – au regard notamment des jurisprudences de la Cour européenne des droits de l’Homme et de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) – dans un certain nombre d’hypothèses :
– pour les revirements de jurisprudence ;
– pour la réponse à une question juridique de principe ;
– lorsqu’il est répondu à l’évocation de la violation d’un droit ou d’un principe fondamental ;
– lorsqu’est exercé un « contrôle de proportionnalité » ;
– lorsque l’arrêt présente un intérêt pour l’unification de la jurisprudence et le développement du droit ;
– et, enfin, pour les questions préjudicielles.

La mention des précédents pourrait être effectuée chaque fois que cela apparaît nécessaire, notamment en cas de revirement de jurisprudence ou de non-respect par la cour d’appel d’une jurisprudence constante de la Cour de cassation.

Concernant la structure formelle des décisions de la Cour, elle ne devrait pas être modifiée dans l’immédiat, malgré les propositions du rapport en ce sens. Les présidents de chambre ont en effet indiqué que cette modification ne leur apparaît pas justifiée. Ces préconisations du rapport visent pourtant à rendre plus compréhensibles et à assurer une meilleure diffusion et un plus grand rayonnement des arrêts de la Cour dans un contexte d’européanisation et de mondialisation.

Les suites à venir…

Bertrand Louvel a indiqué que deux commissions vont être instituées pour mettre en œuvre les deux orientations retenues, à savoir l’enrichissement des motivations et le filtrage des pourvois, ainsi qu’une instance d’évaluation et de suivi, sous la responsabilité du président Jean, qui permettra «  de continuer les échanges sur les pratiques et les évolutions possibles, tant au sein de la Cour qu’avec ses partenaires extérieurs » ont précisé les présidents de chambre.
La réforme du rôle du parquet général est remise à plus tard…
Source : Actualités du droit