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Exception au retour de l’enfant en cas de violences paternelles

Civil - Personnes et famille/patrimoine
21/05/2019
Le risque grave de violences domestiques constitue l’une des exceptions au principe de droit international selon lequel un enfant doit être renvoyé dans son lieu de résidence habituel.
Il est de jurisprudence constante que le risque de violences domestiques justifient le non-retour d’un enfant (voir dernièrement (Cass. 1re civ., 14 févr. 2019, n° 18-23.916, RJPF 2019-4/30, obs. Corpart I.). L'arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l'homme le 21 mai 2019 en est une nouvelle illustration.
En l'espèce, après avoir passé les vacances d’été en Roumanie une mère décida de ne pas retourner avec ses enfants auprès de son époux, en Italie. Le père engagea, en vertu de la Convention de La Haye sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, une procédure visant le retour de ses enfants en Italie, leur lieu de résidence habituel. Arguant que son époux avait un comportement violent à l’égard de ses enfants, la mère s’y opposa. Elle allégua que celui-ci les battait s’ils lui désobéissaient, et qu’il les humiliait en les insultant. Elle remit plusieurs enregistrements vidéo des comportements qu’elle dénonçait. Elle indiqua que les violences s’étaient aggravées au cours des dernières années et qu’elle s’était sentie obligée de trouver refuge en Roumanie. Les juridictions roumaines firent droit à la demande de retour formée par le père des enfants. Elles considérèrent que le père avait certes eu recours à la force physique sur ses enfants, mais que ces actes de violence avaient été occasionnels et ne se reproduiraient pas « suffisamment souvent pour représenter un risque grave ». Elles conclurent également que, en tout état de cause, les autorités italiennes seraient en mesure de protéger les enfants si le risque d’abus était porté à leur attention. À ce jour, cependant, les autorités ne sont pas encore parvenues à exécuter l’ordonnance de retour car les enfants refusent de retourner en Italie.
La Cour rappelle que les châtiments corporels ne sauraient être tolérés et que les États doivent œuvrer en faveur de leur interdiction dans la loi comme dans la pratique. Le droit roumain établit une interdiction absolue des châtiments corporels au sein de la famille. Toutefois, les déclarations faites par la juridiction interne dans le cas des requérants, à savoir que les violences avaient été occasionnelles et qu’elles ne se reproduiraient pas « suffisamment souvent pour représenter un risque grave », vont à l’encontre de cette interdiction. En effet, alors même qu’elles avaient conclu que les enfants avaient subi des violences de la part de leur père, ainsi qu’en attestaient plusieurs enregistrements vidéo, les juridictions internes n’ont pas tenu compte de cet élément lorsqu’elles ont eu à considérer l’intérêt supérieur des enfants. En outre, les juridictions internes n’ont pas cherché à déterminer si les enfants ne couraient plus le risque de subir des châtiments corporels de leur père en cas de retour auprès de lui. Elles ont laissé aux autorités italiennes le soin de réagir et de protéger les enfants si les violences se reproduisaient. Sur ce point, la Cour note que l’existence, en vertu du droit de l’Union européenne, d’un lien de confiance mutuelle entre les autorités de protection de l’enfance des deux États, tel celui qui existe entre la Roumanie et l’Italie (Règlement Bruxelles II bis), ne signifie pas que l’État vers lequel un enfant a été déplacé illicitement doit ordonner son retour dans un environnement dans lequel il sera exposé à des risques graves de violences domestiques au seul motif qu’il s’agit de son lieu habituel de résidence et que les autorités du pays sont en mesure de s’occuper de cas d’abus. Les juridictions internes auraient dû tenir davantage compte du risque de mauvais traitements auquel les enfants seraient exposés en cas de retour en Italie. La Cour conclut que les juridictions internes n’ont pas examiné les allégations de « risque grave » d’une manière compatible avec l’intérêt supérieur des enfants. Il y a donc eu violation de l’article 8 de la Convention.
 
Source : Actualités du droit